L’homme qui n’aimait plus les chats…

Dans une petite île où vit paisiblement une communauté villageoise, les chats disparaissent...

Un exercice d’autodéfense intellectuelle très ludique, s’opérant grâce à un récit romanesque haletant. Foto: JM Claus / CC-BY 2.0

(Jean-Marc Claus) – Kinésithérapeute et auteure, c’est ainsi que la Bordelaise Isabelle Aupy est présentée par Les Éditions du Panseur, qui depuis mai 2019 publient ses écrits, dont le premier paru chez Gallimard dans la collection Folio en février dernier : « L’homme qui n’aimait plus les chats ». Dans un style bien différent de ses productions littéraires suivantes, intitulées « Le panseur de mots » (01/2021) et « Les échassiers » (08/2022), elle amène habilement le lecteur à se questionner sur le sens des mots et à se prémunir contre les totalitarismes.

Un exercice d’autodéfense intellectuelle très ludique, s’opérant grâce à un récit romanesque haletant, courant sur 111 pages réparties en 8 chapitres, imprimé en caractères de 2 mm à raison de 27 lignes par page. Ceci pour souligner son accessibilité au plus grand nombre, et cerise sur le gâteau, son prix largement inférieur à celui d’un paquet de cigarettes ou d’un menu dans une usine à malbouffe. Argument supplémentaire, la présentation du livre par son auteure interviewée par une enfant visionnable sur YouTube est une irrésistible invitation à la lecture et une irrépressible incitation à la réflexion.

Isabelle Aupy traite avec une grande subtilité de la manipulation du langage, prélude à la manipulation des consciences. Dans la droite ligne de « Lingua Tertii Imperii » (1947) de Victor Klemperer et de « 1984 » (1949) de George Orwell, la romancière met habilement le doigt là où au début, ça ne fait pas vraiment mal, pour par la suite faire le plus grand mal.

Une petite île abrite une communauté villageoise au sein de laquelle sont, de par un vivre ensemble choisi pour la plupart, cultivées des valeurs telles que la solidarité et la tolérance. Ce qui n’exclut pas divergences, tiraillements et parfois même confrontations. Au milieu de ce petit monde, il y a des chats « des domestiqués, des pantouflards et des errants, qui se baladent un peu chez l’un, un peu chez l’autre » (page 13). Mais étonnamment, ils commencent à disparaître peu à peu, jusqu’à extinction complète et venue du contient d’une femme de l’administration qui « sentait les fleurs qu’on ne cueille pas dans les champs » (page 28).

Le professeur, que la communauté avait envoyé en mission sur le continent pour exposer aux autorités compétentes le mystère de la disparition des chats, en était revenu avec la femme de l’administration et s’était mis à parler une lange étrange. « Le convaincu, une langue à sens unique faite des mêmes mots que la nôtre, mais un peu différente : elle ne connaît pas de points d’interrogation », rapporte le narrateur et personnage pivot de l’histoire. Une histoire qui se corse quand l’administration, dans sa très haute bienveillance, met gracieusement à disposition des îliens des chiens qu’ils convient de nommer chats.

La femme de l’administration et le professeur vont alors s’employer, avec la plus grande ingéniosité, à convaincre les villageois que les chiens offerts par les pouvoirs publics sont des chats. Ce qui ne va pas se faire sans quelques difficultés, mais globalement réussir, jusqu’à la survenue d’un incident propre à générer un retournement de situation inattendu. Au milieu de tout cela, le poète, un réfugié du Printemps de Prague, parle dans un français approximatif, mais néanmoins très justement de la dictature du (faux) besoin, à laquelle les Français « peuple d’abrutis, (qui) ont oublié leur langue, leur pensée » (page 65) se soumettent, car « Pour manipuler, il faut pas obliger, mais inciter. Et gens stupides qui croient que bonheur est d’avoir, pas être. » (page 65).

Mais quel est le rapport avec les « non-chiens », puisque le mot « chat » est, de par la volonté de l’administration, banni du vocabulaire de l’île ? Cela vous chagrine ? Alors sachez qu’un autre Bordelais nommé Charles de Secondat et dit Montesquieu, affirmait avec raison « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. »…

L’homme qui n’aimait plus les chats – Isabelle Aupy
Éditions Gallimard – Collection Folio – ISBN 978-07-299068-7 – 6,90€
Dépôt Légal 02/2023 – Publication Les Éditions du Panseur

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