Espagne : Les anti-IVG donnent de la Vox

Vox clamantis non in deserto

Langage violent mène à acte violent... Foto: Joyce Mary Wallace / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Jean-Marc Claus) – Si, pour la lutte contre les violences conjugales, l’Espagne est en avance sur beaucoup d’autres pays, notamment au Sud de l’Europe, il en va autrement pour la préservation du droit à l’avortement.

Autant l’Espagne a pris, depuis le début du second millénaire, de l’avance en matière de lutte contre les violences conjugales, notamment suite à l’émotion suscitée par l’assassinat particulièrement horrible d’Ana Orantes commis par son ex-mari en 1997, autant le Royaume d’Espagne régresse en matière de droit à l’avortement.

Ainsi, selon une étude réalisée par l’Asociación de Clínicas Acreditadas para la Interrupción des Embarazo (ACAI), organisme créé en 1997, actuellement 89% des femmes interrogées souhaitant interrompre leur grossesse, subissent des pressions par des groupes anti-IVG. Or, comme l’affirme cette association « Hoy el aborto es legal y un derecho », ce que certains, dont le parti d’extrême-droite Vox et autres réactionnaires, n’entendent pas de cette oreille.

D’une manière générale, avec la Constitution de la Seconde République Espagnole (1931-1939), les droits des femmes avaient considérablement progressé (droit de vote, égalité, participation à la vie active et politique, reconnaissance du mariage civil et du divorce). Cette distanciation avec l’emprise de l’Église Catholique exercée sur la société a été de courte durée. La dictature franquiste (1939-1975) a balayé ces avancées, pour replacer le femme sous la tutelle de l’homme.

Mais, comble de la perversité, elle lui a donné une place importante dans la société par le biais d’une politique nataliste parfaitement orchestrée. La Section Féminine (Sección Femenina 1934-1977), issue de la Phalange (1933-1937), rappelait à la femme sa mission assignée par Dieu, et à laquelle il lui incombait de s’acquitter, pour gagner l’Éternité et sauver sa vie : être mère (cf Lecciones para los cursos de Formación de Instructoras del Hogar). Mais pas mère célibataire, encore moins mère divorcée ou vivant en union libre, non surtout pas : mamá de la casa y punto final !

Évidemment, pour éviter que la mécanique bien huilée de cet admirable plan machiste ne se grippe, les femmes étaient maintenues dans l’ignorance totale en matière de sexualité. Pas de contraception, pas d’avortement, même quand la vie de la mère était en danger. Autorisé en Catalogne pour la première fois en 1936, il est devenu avec Franco passible de poursuites, tant envers les femmes elles-mêmes, qu’à l’encontre de toutes personnes les ayant assisté. D’où de multiples avortements clandestins, avec leurs conséquences souvent dramatiques, et pour celles qui en avaient les moyens, le développement d’une filière vers le Royaume-Uni.

Si dans les années 1960, le pouvoir assouplit quelque peu les règles régissant la place des femmes dans la société, elles n’ont pas été  pour autant libérées de l’emprise de l’Église, cette dernière allant jusqu’à édicter les règles de l’acte sexuel entre époux ! Notons que, jusqu’en 1963, pères et maris avaient droit de vie et de mort sur leurs filles ou épouses, lorsqu’ils les surprenaient en flagrant délit d’adultère ou de fornication. Adultère et concubinage ont été retirés de la liste des délits, et la vente des préservatifs autorisée seulement en 1978, soit trois ans après la mort de Franco.

C’est en 1985 que l’avortement a enfin été dépénalisé, mais sous conditions : viol, malformation du fœtus, risque important pour la santé physique ou psychique de la mère. En vigueur jusqu’en 2010, cette réglementation a été élargie par le gouvernement socialiste Zapatero (2004-2011) qui par ailleurs, a lutté activement contre les violences conjugales (2004) et a permis aux couples homosexuels mariage et adoption (2005).

Lors du retour au pouvoir de la droite, le gouvernement Rajoy (2011-2018) a opéré de nombreux reculs sociaux, notamment en matière d’avortement ,à propos duquel en 2013, une proposition de loi intitulée « Ley de Protección de la Vida del Concebido y de los Derechos de la Mujer Embarazada », en restreignant drastiquement tant l’accès que les conditions, provoqua de nombreuses prises de position tant en Espagne qu’à travers toute l’Europe.

Ce projet de loi a été retiré en 2014 faute de consensus… au sein même de la majorité. Mais en 2015, le Sénat a approuvé une réforme de la loi concernant les mineures de 16 ans et plus, qui contrairement à l’avancée obtenue en 2010, ne peuvent plus accéder à l’avortement sans consentement parental préalable. Les anti-IVG, appelés abusivement Outre-Atlantique « Pro Life », n’en restent pas là, notamment avec l’arrivée de la Gauche au pouvoir en 2018, et la montée en puissance de l’extrême-droite en 2019.

Ainsi, la députée Vox Gádor Joya, élue en 2019, se présente depuis l’automne dernier à l’entrée des cliniques pratiquant l’avortement, avec sa camionnette sérigraphiée « Mujer Clínica + Móvil » de l’association « Derecho a Vivir » (DAV), proposant gratuitement aux femmes tests de grossesse et échographies, afin de les inciter à ne pas avorter. L’immédiate proximité de la clinique madrilène Dator, qui a été la première a pratiquer des avortements, est ciblée par des tags tels que « Ici ils tuent de enfants ». Les femmes qui s’y rendent sont, comme dans certains Etats des USA, interpellées dans la rue par des activistes anti-IVG. Mais ces actions ne se limitent pas à la rue. Comme le rapporte El País dans son édition du 23/02/2020, des lobbyistes sont à l’œuvre à des niveaux juridiques, administratifs et publics. L’ACAI établit qu’en 2018, plus de 8.000 femmes désirant avorter ont été victimes de harcèlement par des activistes anti-IVG. Tous les moyens, allant de l’empathie déguisée à l’intimidation assumée, sont bons pour détourner les femmes de leurs projets.

Les professionnels sont eux-mêmes, comme aux USA, harcelés à leur tour. L’ACAI a demandé au pouvoir de légiférer afin que ces pratiques soient considérées comme un délit passible de poursuites, à l’instar des textes votés en France. Rappelons que le délit d’entrave à l’IVG entré dans le Code Pénal français en 1993, afin de sanctionner les commandos anti-IVG, est depuis Février 2017, complété par un dispositif permettant de poursuivre les sites de désinformation devenus très actifs avec la généralisation de l’accès à internet.

Comme dans de très nombreux pays européens, mais aussi ailleurs dans le monde, l’extrême-droite est à pied d’œuvre en Espagne. L’ultralibéralisme de l’économie mondiale génère de plus en plus de pauvreté. Ainsi, une manœuvre bien connue des puissances d’argent consiste à mettre à l’abri les 1% les plus riches, en montant les 99% les uns contre les autres.

Ceci au nom de valeurs que ces 1% ne partagent pas forcément, mais savent habilement mettre en avant, pour faire écran à la cause primaire et essentielle du malheur des 99% : l’avidité sans limite des possédants. Comme toujours, l’extrême-droite demeure, sous couvert de légitimité populaire, la meilleure alliée des plus riches, afin que « Tout change, pour que rien ne change ».

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