Franquisme à effet boomerang

En Espagne, la page du franquisme trop vite tournée dans les années soixante-dix, a aujourd'hui un effet boomerang, comme le démontrent certains faits d'actualité.

A Mos, au Sud de la Galice et à proximité de la frontière hispano-portugaise, un monument entretient la mémoire d'au moins 140.000 des nombreux disparus sous la dictature franquiste. Foto: Edvac / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – En Galice, la famille Franco priée de quitter le Pazo de Meirás qu’elle occupe depuis 80 ans, commençait à le faire en chargeant cinquante camions d’œuvres d’art. Une décision de justice à visée conservatoire, prononcée in extremis, bloqua le déménagement et ordonna l’inventaire des biens culturels abrités par ce manoir classé depuis 2008. Cette tentative de pillage d’œuvres d’art nous renvoie à quelques épisodes des années trente où, dans les pays occupés par le IIIe Reich, les nazis firent main-basse sur de nombreuses collections, tant privées que publiques.

Même si la bataille juridique concernant cette demeure et son contenu, offerts en 1938 à Franco par les autorités galiciennes, n’est pas terminée, il n’en reste pas moins que la famille du Caudillo n’est décidément pas prête à renoncer à ses prérogatives remontant à l’époque du totalitarisme. Les descendants du dictateur, attachés à son mausolée de la Vallée de Los Caídos, n’ont très certainement pas encore digéré le transfert de ses restes au Cimetière Mingorrubio del Pardo, dans la banlieue Nord de Madrid. Processus acté en 2017 par le Congrès des Députés sous le Gouvernement Rajoy et enfin réalisé en 2019 sous le gouvernement Sànchez.

Une vingtaine d’années après la création du « Congrès Catholique et Vie Publique » émanant du catholicisme social espagnol, la dérive nationaliste d’une partie de l’épiscopat associée aux manifestations s’opposant tant au « mariage pour tous » qu’à l’éducation citoyenne, font de cet événement un forum des valeurs les plus rigoristes de l’Église Catholique. Frontalement opposées à la coalition gouvernementale PSOE – Unidas Podemos, l’Association Catholique des Propagandistes et la fondation soutenant la très privée Universidad San Pablo ont intitulé la 22e édition de cet événement « Le temps de défendre la vie ! ».

Leur but avoué étant de réactiver les mobilisations dans la rue, ceci en dépit de la pandémie de Covid-19, ces mouvements démontrent ainsi leur totale incohérence avec les valeurs qu’ils affichent. Mais il ne faudrait pas pour autant sous-estimer leur nocivité car, l’histoire de l’Espagne l’ayant démontré, l’association de l’Église Catholique avec le fascisme fut et restera une formule gagnant-gagnant. Or, la page du franquisme n’est non seulement pas tournée en Espagne, mais l’extrême-droite y gagne du terrain. Si les dignitaires de l’Église Catholique, très souvent liés à la monarchie, viennent à se positionner du côté de Vox, le pire est à craindre.

Le jeune historien Pablo Alcántara Pérez, qui a enquêté durant quatre ans sur des documents relatifs à la police politique du régime franquiste est, 45 ans après la mort du dictateur, le premier chercheur à présenter une thèse sur la Brigade Politique Sociale (BPS), organe de répression méconnu tant au sein des jeunes générations de l’Espagne contemporaine, qu’au-delà des frontières du pays. Il expliquait récemment dans « El Diario », que ses recherches ont aussi nécessité le recours à des enquêteurs privés car, contrairement à d’autres pays européens, l’État espagnol garde encore certains documents inaccessibles.

Cependant, Pablo Alcántara Pérez n’étant pas un universitaire isolé, mais le représentant d’une tendance réunissant d’autres chercheurs intéressés par les aspects méconnus de répression franquiste, l’espoir reste permis. La Loi d’Amnistie de 1977, qui a recouvert d’une chape de plomb le passé fasciste de l’Espagne, a heureusement été complétée par la Loi sur la Mémoire Historique en 2007, mais un travail important reste à réaliser tant au niveau de la recherche historique, qu’au plan de l’opinion publique. Opinion publique que l’extrême-droite compte bien gagner, en psalmodiant sans relâche le mantra du « C’était bien mieux avant ! », et en agitant furieusement le chiffon rouge du péril communiste.

En Europe, mais aussi sur d’autres continents, le péril n’est pas rouge, mais brun. La façon dont l’extrême-droite réécrit l’histoire et capte l’attention des masses, en associant patriotisme guerrier et religiosité combative, doit interpeller tous les progressistes. Ceux qui s’opposent à l’héritage du Siècle des Lumières et du Temps des Révolutions, veulent s’emparer du pouvoir par une révolution obscurantiste, sous couvert d’une prétendue modernité. Et quand des électeurs votant pour des candidats d’extrême-droite, ont pour seule réponse à la question du pourquoi un goguenards « Pourquoi pas ? », il y a tout lieu de s’inquiéter quant à l’avenir de la démocratie.

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