L’université de la forêt, selon Sorel Eta

Forestier abatteur d’arbres, devenu ethnologue défendant les Pygmées et leurs environnement, Sorel Eta, fort de plus d’un quart de siècle d’expérience, démontre l’absolue nécessité de préserver et de valoriser cette culture en voie de disparition.

Un livre à lire absolument, car le combat mené par Sorel Eta, ne concerne pas que les Pygmées Aka. Foto: JM Claus

OK logo viereck klein (Jean-Marc Claus) – Parcourant le monde avec le groupe « Ndima » de chanteurs polyphoniques et de danseurs pygmées Aka, pour sauver l’humanité en commençant par sauver leur culture (sic), le Bantou Sorel Eta les a rencontré alors qu’âgé de 22 ans, il travaillait sur un chantier forestier. Ce presque quinquagénaire au regard franc et à la voix forte, est aujourd’hui habité par une passion qu’il sait admirablement transmettre. Parcourant la forêt en compagnie des Pygmées, non plus pour la mettre en coupe réglée, mais pour la défendre en tant qu’écosystème biologique et culturel, il a écrit sous leur houlette « L’université de la forêt ».

Un livre qui, en livrant de précieuses connaissances, élargit l’horizon du lecteur. Phénomène paradoxal, car dans la forêt équatoriale, la vue est rarement dégagée, mais c’est d’abord et toujours l’esprit humain qui où qu’il soit, a besoin d’ouverture. Ceci se réalisant par la lecture de ce travail d’ethnologue particulièrement vivifiant, car toujours très imagé et riche de nombreuses anecdotes. Le lecteur entre dans le texte comme dans un roman, par le récit de la rencontre de Sorel Eta avec les pygmées Aka, qui deviennent ses professeurs au sein de ce qu’il nommera avec beaucoup de pertinence « l’université de la forêt ».

Enseignement fondamental de ses mentors, le chant polyphonique contrapuntique occupe une place centrale dans le corpus de connaissances qui lui est transmis, et constitue un média de choix pour la mission qu’il se fixera par la suite. Ainsi, aujourd’hui, c’est par ces chants, musiques et danses traditionnelles, que le groupe Ndima des Pygmées Aka qu’il a constitué, véhicule de par le monde, une culture en voie de disparition. La forêt de Kombola recule, non du fait de l’exploitation du bois qui a cessé, mais par l’abattage des arbres que réalisent les fermiers Bantous pour accroître, année après année, leurs plantations. La contamination par les modes de vie occidentaux que les Bantous apportent aux Pygmées qu’ils méprisent par ailleurs, ainsi que l’alphabétisation et l’évangélisation, éloignent les enfants Aka de leur précieux héritage culturel.

L’éducation chrétienne versus l’éducation pygmée est une lutte aux rapports de force inégaux, dont Sorel Eta rend compte par divers exemples. « Quand la scolarisation des autochtones inclut un enseignement chrétien, leurs croyances en sont indubitablement atteintes. Ils rechignent à y recourir. […] Nous gagnerons d’avantage à apprendre de ce peuple, qu’à les amener à vivre à notre image. » (pages 135-136), écrit-il en soulignant que préserver et valoriser la culture des peuples pygmées est son combat. Un combat qu’il mène pacifiquement, mais avec une énergie sans cesse renouvelée, car vivre quotidiennement avec les Pygmées, autant dans la forêt primaire que lors des tournées internationales, est pour lui un continuel ressourcement.

Ne faut-il lire cet ouvrage, mêlant témoignage personnel émouvant et éléments didactiques de premier plan, que si l’on s’intéresse à l’ethnologie ? Certes non, car il est adressé à tout être humain susceptible de se distancier de cet ethnocentrisme malsain, propre aux colonisateurs et missionnaires qui ont pillé et asservi l’Afrique subsaharienne. Mais il ne faudrait pas non plus imaginer que Sorel Eta rejette la culture occidentale, car pour lui « La valorisation de l’école de la forêt passe également, […] par la collaboration avec l’école occidentale, dans le but premier d’améliorer les relations entre les Pygmées et les Bantous. Cela veut dire que le respect des droits des minorités, ainsi que le rétablissement de leur dignité, sont primordiales » (page 151).

L’université de la Forêt avec les Pygmées Aka, par Sorel Eta
Collection Nouvelles Terres aux Presses Universitaires de France
ISBN 978-2-13-081823-6 – 09/2022 – 179 pages – 13€

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