Quatre hommes et une frontière

Les 1er juillet 2020, Marcelo Rebelo de Sousa , Felipe VI, António Costa et Pedro Sánchez ont officiellement rouvert la frontière hispano-portugaise : un moment particulièrement symbolique et émouvant.

Au Sud de Badajoz (Espagne) et d'Elvas (Portugal), le Pont d'Ajuda construit en 1510 et détruit en 1709 - le symbole d'une frontière fermée à rouvrir. Foto: Adolfobrigido / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0ES

(Jean-Marc Claus) – Le 1er juillet, les chefs d’Etat et de gouvernement portugais et espagnols ont procédé de concert à la réouverture de la frontière séparant leurs deux pays. Fermés depuis le 16 mars 2020, les points de passages sont désormais remis en fonction et dans un bon esprit, en dépit d’un petit couac mi-juin obligeant Augusto Santos Silva, le ministre portugais des affaires étrangères, à recadrer sans la moindre acrimonie la ministre espagnole de l’Industrie, du Commerce et du Tourisme Maria Reyes Maroto Illera qui avait parlé un peu trop vite.

Un roi, un président de la république et deux chefs de gouvernements se sont donc retrouvés à Badajoz (Espagne) et Elvas (Portugal), villes se faisant face de part et d’autre de la frontière et séparées d’une vingtaine de kilomètres. António Costa, Premier ministre portugais, avait précédemment exprimé dans le quotidien espagnol La Vangardia, sa satisfaction de procéder à cette réouverture d’une frontière dont la fermeture l’avait attristé. Les vidéos des cérémonies du 1er juillet montraient Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol, particulièrement rayonnant. Les déclarations d’António Costa parlant de réunion entre voisins, frères et amis, n’y étaient très certainement pas étrangères. Mais le Premier ministre portugais voit plus loin car, dans le même discours, il soulignait que leurs deux pays se doivent d’être des acteurs de premier plan dans la construction européenne. D’où pour lui, la nécessité de demeurer solidaires.

Mieux encore, António Costa évoquant le départ prochain de la présidence de l’Eurogroupe de l’ancien ministre portugais Mário Centeno, a déclaré soutenir la candidature de Nadia Calvino, ministre espagnole de l’Economie, au motif qu’il est pour lui important que ce poste continue d’être occupé par une personnalité socialiste. Ce qui témoigne d’une évidente synergie dans le duo ibérique. Une collaboration dont pourraient peut-être s’inspirer d’autres pays européens qui, sans avoir 1.214 km de frontière commune, gagneraient à se sentir unis dans un destin commun. La solidarité n’est pas un vain mot, de ce côté-ci des Pyrénées, et il s’avère particulièrement réjouissant de voir des pays voisins s’épauler tout en conservant une vision européenne. C’est-à-dire à l’exact opposé du Groupe de Visegrád (Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie) s’unissant pour blâmer l’Union Européenne, tout en y demeurant pour en tirer un maximum d’avantages.

Petit accroc à ces belles et émouvantes cérémonies, mais aussi épisode croquignolesque côté portugais, les Verts d’Os Verdes et les militants de ProToiro, la fédération portugaise de tauromachie, se sont retrouvés à Elvas. Les uns manifestaient pour la fermeture de la centrale nucléaire espagnole d’Almaraz, située à 110 km de la frontière portugaise sur un axe Est-Ouest. Les autres disaient leur mécontentement envers le gouvernement qui a décrété via la Direção-Geral da Saúde (DGS) que les arènes ne pourront, en l’actuelle période de pandémie, n’accueillir de spectateurs qu’à concurrence d’un tiers de leur capacité, contre la moitié pour les autres lieux de spectacles. Côté espagnol, il y eut aussi un petit couac que restitue La Vangardia dans une vidéo montrant Felipe VI descendant de voiture, allant masqué main tendue vers un Pedro Sánchez tout aussi masqué, se dérobant poliment face au roi qui se souvenant alors brusquement des gestes barrières, rabat son bras sur sa veste.

De ce moment particulier nous retiendrons aussi qu’António Costa, le premier ministre portugais, s’exprime dans un espagnol limpide,  émaillé d’un léger accent portugais loin d’être déplaisant. Ce dont pourraient s’inspirer d’autres politiques, notamment français, voulant cultiver de bonnes relations avec leurs voisins européens, mais incapable d’en parler correctement la langue. Marcelo Rebelo de Sousa, le président portugais à la cote de popularité phénoménale, s’est montré toujours aussi alerte et facétieux, alors que du haut de ses 71 ans il était le doyen des quatre hommes d’État. Felipe VI, dans le civil Felipe Juan Pablo Alfonso de Todos los Santos de Borbón y de Grecia, est demeuré particulièrement digne, affichant un flegme tout britannique lorsqu’il eut à subir les huées de quelques manifestants anti-monarchiques. Un happening des plus déplacés en un tel moment, et donc totalement contre-productif pour soutenir une cause que sont loin de partager la plupart des Espagnol(e)s.

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