Frei Betto, dans l’ombre de Lula

Un personnage clef de la Théologie de la Libération en Amérique Latine gravite dans l’entourage du Président Lula, avec qui il entretient depuis de longues années, de solides liens d’amitié.

Frei Betto visite Xapuri, à l’embouchure du Rio Acre sous-affluent de l’Amazone, où vivait et a été assassiné l’écologiste et syndicaliste Chico Mendes (1944-1988). Foto: Agência de Noticias do Acre / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Jean-Marc Claus) – Luiz Inácio Lula da Silva, élu Président de la République Fédérative du Brésil le 30 octobre dernier, a officiellement pris ses fonctions le 1er janvier. Lors de la constitution de son Gouvernement comptant 37 ministres, un nom est souvent apparu dans certains commentaires : Frei Betto, pour l’État Civil Carlos Alberto Libânio Christo. Parfois même comme potentiel ministrable, car alors qu’il vivait en 1979 dans une favela de São Paulo, il était devenu et est par la suite resté ami avec le syndicaliste Lula, qui devint Président du Parti des Travailleurs en 1980 à 1994, puis Député en 1987 à 1991, puis Président de la République de 2003 à 2010.

De son côté, le dominicain Frei Betto, son aîné d’une année, militant des causes sociales ayant développé une solide expertise dans les relations avec les pays socialistes dont Cuba, poursuivit sa carrière de frère prêcheur et d’intellectuel de premier plan, très impliqué dans la Théologie de la Libération que s’appliqua à saper l’alors encore cardinal Joseph Ratzinger sur ordre du déjà pape Karol Wojtyla. Une orientation théologique pratico-pratique, ne pouvant que faire converger les tenants de l’option préférentielle des pauvres et ceux des politiques progressistes.

Mais Frei Betto ne fut pas toujours d’accord avec Lula, comme par exemple fin 2004, alors conseiller du Président pour Fome Zero, le plan visant à éradiquer du pays la faim et l’extrême pauvreté, il quitta le Gouvernement car jugeant que son orientation prenait un cours néo-libéral. Ayant, à l’instar de Lula, connu pour ses idées progressistes, les geôles de la dictature militaire brésilienne, il n’est pas hommes à renoncer à ses convictions, tout en demeurant un habile négociateur et un fin diplomate.

Qualifié à tort de marxiste, Frei Betto reconnaît la valeur de l’œuvre de Karl Marx qu’il qualifie d’inestimable, mais ne comprend pas Le Capital (1867) et par contre, aime beaucoup le Manifeste du Parti Communiste (1848) coécrit avec Friedrich Engels. Pour lui, le capitalisme ne peut être réformé, car cela reviendrait à « vouloir arracher les dents du tigre en pensant lui arracher sa violence. » . Selon son analyse, « la grande erreur de la gauche était d’avoir le courage, les armes, l’argent, les idées, la théorie, mais pas le peuple. ». Ce qu’en d’autres termes dit Pablo Manuel Iglesias Turrión dans sa leçon de politique.

Observant finement l’évolution de la gauche et de l’extrême droite sur son continent, il affirmait en 2004 que « en Amérique Latine, la révolution n’intéresse plus que deux milieux : les fabricants d’armes et l’extrême droite. ». Un constat transposable à l’Europe d’aujourd’hui, même si bien sûr, comparaison n’est pas raison. Mais il n’en demeure pas moins que les mouvements et partis nationalistes, sont plus organisés et prêts à s’engager dans une révolution, que les mouvements et partis progressistes paralysés par de nauséabondes querelles de leadership et des confrontations comparables à des séances de sodomisation de diptères.

« Le peuple est essentiel », dit Frei Betto, alors, si au Brésil grâce au peuple la gauche est revenue au pouvoir en dépassant de peu l’extrême droite (50,9% vs 49,1% avec 20,58% d’abstention), qu’adviendra-t-il de l’Europe lors des prochaines séquences électorales ? Qui en Europe a aujourd’hui l’oreille du peuple et pourquoi ? Nos dirigeants, se prétendant respectueux des valeurs républicaines et affirmant main sur le cœur lutter contre l’extrême droite, tout en sabrant les lois sociales pour encore plus gaver les actionnaires, feraient bien de se questionner sérieusement et gagneraient à avoir assez d’humilité pour, comme Luiz Inácio Lula da Silva, se mettre à l’écoute d’un Frei Betto…

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